16
Sacrilège

 

— Le dernier jour ! soupira Drizzt avec soulagement en revêtant sa tenue de cérémonie.

Si le premier semestre de sa dernière année d’études, passé à apprendre les subtilités de la magie à Sorcere, lui avait paru le plus agréable, le dernier, à l’école de prêtrise de Lolth, lui avait le plus fortement déplu. Tous les jours, Drizzt et ses camarades avaient dû subir d’interminables éloges à la Reine Araignée, des histoires et prophéties destinées à mettre en avant son pouvoir et les récompenses qu’elle accordait à ses loyaux serviteurs.

Drizzt pensait pour sa part que le mot d’esclaves aurait mieux convenu : à aucun moment de son séjour dans cette grandiose école dédiée à la divinité drow, il n’avait entendu de paroles évoquant, ou même simplement suggérant, l’amour ou l’affection. Son peuple était en adoration devant Lolth ; les femmes de Menzoberranzan lui consacraient toute une vie de dévotion aveugle. Mais il s’agissait d’une vocation essentiellement guidée par l’égoïsme : une prêtresse de la Reine Araignée aspirait à l’élévation au rang de haute prêtresse uniquement pour le pouvoir que conférait ce titre.

Tout cela paraissait malsain aux yeux de Drizzt.

Il avait supporté les six mois passés à Arach-Tinilith avec son stoïcisme habituel, les yeux baissés, la bouche close. Maintenant, enfin, le dernier jour était arrivé, la Cérémonie des Diplômes, un moment des plus solennels dans la vie des drows, celui où, lui avait promis Vierna, il comprendrait enfin tout ce qui faisait la gloire de Lolth.

Drizzt, le pas un peu hésitant, quitta le refuge de sa toute petite chambre nue. Il redoutait cette cérémonie : allait-elle constituer son épreuve personnelle ? Jusqu’à présent, il avait eu le plus grand mal à donner un sens à ce qu’il pouvait observer de la société drow et, malgré la conviction de sa sœur, il se demandait si les événements de ce jour allaient lui donner à voir le monde de la même manière que ses compatriotes. Les craintes de Drizzt se renforçaient les unes les autres, le cernaient dans une spirale d’effroi.

Peut-être sa plus grande frayeur était-elle en fait que ce jour réalise les promesses de Vierna !

Drizzt se couvrit les yeux de la main en pénétrant dans la salle circulaire réservée aux cérémonies à Arach-Tinilith : un feu brûlait au centre, dans un grand brasero en forme d’araignée, comme apparemment tous les objets qui s’y trouvaient. Les maîtresses supérieures de toute l’Académie, la Maîtresse Matrone et les douze hautes prêtresses qui enseignaient à Arach-Tinilith (et dont faisait partie la sœur de Drizzt) formaient un cercle autour du feu, assises en tailleur. Drizzt et ses condisciples de la promotion de guerriers s’installèrent debout derrière elles, le long du mur.

— Ma ku ! ordonna la Maîtresse Matrone, et on n’entendit plus rien à l’exception des flammes dans le brasero.

La porte de la salle s’ouvrit, et une jeune prêtresse entra. Elle était la meilleure élève diplômée d’Arach-Tinilith cette année, avait-on appris à Drizzt, l’étudiante la plus accomplie de l’école de la prêtrise de Lolth. On lui avait en conséquence accordé la place d’honneur dans la cérémonie. Elle se débarrassa d’un seul mouvement dédaigneux de ses robes et s’avança nue jusque devant les flammes, tournant le dos à la Maîtresse Matrone.

Drizzt, gêné et un peu troublé, se mordit les lèvres. Il n’avait jamais vu de femme nue aussi bien éclairée, et il avait dans l’idée que la sueur perlant sur son propre front n’était pas due qu’à la chaleur des flammes. Un regard furtif jeté alentour lui apprit que ses camarades éprouvaient sans doute les mêmes émotions.

— Bae-go si’n’ee calamay, chuchota la Maîtresse Matrone, et une fumée rougeoyante se déversa du brasero, teintant la salle d’une lueur embrumée chargée d’un arôme riche à la douceur écœurante.

Drizzt, en inhalant l’air parfumé, sentit la tête lui tourner et se demanda s’il n’allait pas se mettre à flotter dans la pièce.

Tout à coup, le feu rugit ; sa lueur accrue obligea Drizzt à plisser les paupières et même à détourner le regard. Les prêtresses entamèrent un chant rituel dont le jeune drow ne reconnut pas les paroles. Il y prit à peine garde pour tout dire, car il s’efforçait de conserver sa lucidité au sein de cette brume qui provoquait une ivresse irrésistible.

— Glabrezu, gémit la Maîtresse Matrone, et Drizzt reconnut au ton qu’il s’agissait d’une invocation ; la prêtresse appelait un habitant d’un plan d’existence inférieur.

Le jeune drow reporta son attention sur ce qu’il se passait autour de lui et vit que la haute prêtresse tenait en main un fouet-serpent à une tête.

— D’où sort-elle ça ? marmonna-t-il.

Il se rendit tout de suite compte qu’il venait de parler à voix haute et espéra n’avoir pas perturbé la cérémonie. Un autre coup d’œil le rassura : beaucoup de ses condisciples grommelaient à voix basse, certains semblaient à peine tenir debout.

— Appelle-le ! ordonna la Maîtresse Matrone à l’étudiante nue devant elle.

La jeune prêtresse ouvrit grand les bras, d’un mouvement un peu emprunté, et murmura :

— Glabrezu…

Les flammes dansaient au bord du brasero. La fumée caressait le visage de Drizzt, et il ne pouvait s’empêcher de l’inhaler. Il sentait ses jambes s’engourdir, mais paradoxalement il avait l’impression que chacun de ses sens s’affûtait, devenait plus vivant que jamais.

— Glabrezu, répéta l’étudiante plus fort, et Drizzt entendit les flammes gronder en réponse.

La lumière devenait éblouissante, mais cela lui était désormais égal. Il laissa son regard errer dans la salle, incapable de le fixer quelque part ou de mettre en rapport les visions étranges et mouvantes devant ses yeux avec les sons du rituel.

Il entendait les hautes prêtresses qui, dans de grands spasmes, encourageaient l’étudiante à poursuivre l’invocation. Il y avait aussi les claquements du fouet-serpent (pour accompagner les encouragements ?) et les cris : « Glabrezu ! » que poussait la jeune prêtresse, des cris qui venaient du plus profond de son corps, puissants ; ils bouleversaient Drizzt et les autres mâles présents dans la pièce d’une manière qu’ils n’auraient pas cru possible !

Les flammes réagissaient à l’appel : elles rugissaient, de plus en plus hautes, et se mirent ensuite à prendre forme. Le spectacle captivait à présent l’attention de tous dans la pièce – totalement ! La tête géante d’un chien à cornes de bouc était apparue au milieu du brasier, le regard rivé sur le corps bien fait de cette jeune étudiante drow qui avait osé prononcer son nom.

Quelque part ici-bas le fouet-serpent fit de nouveau entendre son claquement, et l’étudiante répéta son appel d’une voix enjôleuse et suppliante.

L’habitant gigantesque des plans inférieurs fit un pas et sortit du feu. La nature démoniaque évidente de cet être laissait Drizzt pantois. Glabrezu mesurait trois mètres mais en paraissait beaucoup plus, avec ses bras musculeux terminés par d’énormes pinces et une autre paire plus petite de membres supérieurs (pourvus, eux, de mains) qui sortaient de sa poitrine.

L’instinct de Drizzt lui disait de se porter au secours de l’étudiante drow et d’attaquer le monstre, mais, quand il regarda autour de lui, il se rendit compte que la Maîtresse Matrone et les autres enseignantes étaient revenues à leurs incantations rituelles, avec cette fois une excitation perceptible dans la moindre de leurs inflexions.

Drizzt continuait à humer cette brume insinuante ; l’arôme enivrant, étourdissant, de cette fumée d’encens rouge rendait malaisée sa prise sur le réel. Il tremblait, titubait, au bord de l’abandon ; sa fureur croissante combattait les séductions émollientes de la fumée. Ses mains se portèrent instinctivement sur les gardes des cimeterres à sa ceinture.

C’est alors qu’une main lui frôla la jambe.

Baissant le regard, il vit une maîtresse qui s’allongeait par terre et lui faisait signe de se joindre à elle – et ce genre de scène se répétait à l’envi dans toute la pièce !

La fumée s’épaississait, embrouillait Drizzt, la maîtresse l’invitait sans équivoque de ses ongles qui égratignaient légèrement sa peau.

Drizzt passa la main dans sa chevelure drue, s’efforçant de surmonter son trouble. Il n’aimait pas cette sensation de perte de contrôle, cet engourdissement mental qui émoussait ses réflexes, sa capacité de concentration.

Il aimait encore moins le spectacle qui se déroulait sous ses yeux : sa pure perversité offensait son âme ! Il s’arracha aux griffes pleines d’espoir de la maîtresse qui l’avait sollicité et tituba dans la salle, trébuchant sur de nombreux corps enlacés, trop affairés pour faire attention à lui. Il se dirigea vers la sortie aussi vite que ses jambes flageolantes le lui permettaient et se rua hors de la pièce en prenant soin de bien fermer la porte derrière lui.

Seuls les hurlements de l’étudiante qui avait invoqué Glabrezu le suivirent. Ni la pierre ni les barrages mentaux n’étaient en mesure de les bloquer !

Drizzt s’appuya de tout son poids sur la fraîche paroi rocheuse, la main crispée sur son ventre. Il n’avait pas même pris le temps de penser à ce qu’il encourait en agissant ainsi, sa seule préoccupation avait été de quitter cette salle maléfique.

Tout à coup Vierna fut devant lui, ses robes négligemment dégrafées sur le devant. Drizzt, maintenant que ses idées devenaient plus claires, commença à s’interroger sur les conséquences de ses actes. Pourtant l’expression de sa sœur, remarqua-t-il, encore un peu plus perplexe, n’était pas celle du mépris.

— Tu préfères un peu d’intimité, affirma-t-elle, une main posée comme par hasard sur l’épaule de Drizzt. (Elle ne fit aucun geste pour rajuster sa tenue débraillée.) Je comprends cela !

Drizzt saisit la main de Vierna et la repoussa.

— Quelle folie est-ce là encore ? répliqua-t-il d’un ton peu amène.

Le visage de Vierna arbora une affreuse grimace. Elle venait de comprendre les vraies raisons qu’avait eues son frère de quitter la cérémonie.

— Tu as refusé les attentions d’une haute prêtresse ! gronda-t-elle. Elle serait en droit de te tuer pour ton insolence.

— Je ne la connais même pas ! répliqua Drizzt. Attend-on de moi que…

— On attend de toi que tu fasses ce qu’on t’ordonne !

— Elle n’est rien pour moi, balbutia Drizzt.

Il n’arrivait pas à empêcher ses mains de trembler.

— Tu crois peut-être que c’était différent entre Zaknafein et Matrone Malice ? (Vierna savait que l’évocation du héros de Drizzt ne pouvait que le toucher. Voyant qu’elle avait en effet atteint son frère, elle prit une expression plus amène et lui saisit le bras.) Allons, reviens, lui demanda-t-elle d’une voix enjôleuse. Il n’est pas trop tard.

Le regard glacial de son frère interrompit ses simagrées aussi sûrement que l’aurait fait la pointe d’un cimeterre.

— La Reine Araignée est la divinité de notre peuple, lui rappela-t-elle sévèrement. Je suis de celles qui expriment sa volonté !

— Je ne vois pas là de quoi se vanter, répondit Drizzt.

Il essayait de contenir sa colère pour éviter de penser à la vague de peur qui menaçait de submerger ses principes moraux.

Vierna le gifla brutalement.

— Retourne à la cérémonie ! exigea-t-elle.

— Va donc embrasser une de tes chères araignées ! Et puissent ses crochets t’arracher ta maudite langue de la bouche !

À présent c’étaient les mains de Vierna qui tremblaient irrésistiblement.

— Surveille tes paroles quand tu parles à une haute prêtresse, avertit-elle.

— Maudite soit ta Reine Araignée ! cracha Drizzt. Mais je suis certain qu’elle a trouvé son enfer depuis des éons déjà !

— Elle nous donne le pouvoir !

— Elle nous arrache tout ce qui peut nous donner plus de valeur que le sol que nous foulons !

— SACRILÈGE ! hurla Vierna, pleine d’une fureur méprisante, et le mot roula sur sa langue comme le fouet-serpent sifflant de la Maîtresse Matrone.

Un cri ultime, rempli d’angoisse, se fit entendre dans la salle de cérémonie.

— Quelle union perverse, marmonna Drizzt en détournant le regard.

— Il y a beaucoup à y gagner, répondit Vierna, rapidement redevenue maîtresse d’elle-même.

Drizzt lui jeta un regard accusateur.

— As-tu connu ce genre d’expérience ?

— Je suis une haute prêtresse, rétorqua simplement Vierna.

Les ténèbres environnèrent Drizzt : son indignation était telle qu’il faillit s’évanouir.

— Et ça t’a plu ? cracha-t-il d’un ton venimeux.

— Cela m’a donné du pouvoir, gronda Vierna en réponse. Tu ne peux pas comprendre la valeur de cet acte.

— Qu’est-ce que cela t’a coûté ?

Une nouvelle gifle faillit jeter Drizzt à terre.

— Suis-moi ! ordonna sa sœur en agrippant le devant de sa robe. Je veux t’amener quelque part.

Ils sortirent d’Arach-Tinilith et débouchèrent sur le parvis de l’Académie. Drizzt hésita quand ils atteignirent les piliers qui marquaient la limite de Tier Breche.

— Je ne peux pas les franchir, rappela-t-il, je n’ai pas encore mon diplôme de Melee-Magthere.

— Simple formalité, répondit Vierna sans ralentir un instant le pas. En tant que maîtresse d’Arach-Tinilith, j’ai le pouvoir de te l’accorder.

Drizzt n’était pas sûr qu’elle ait raison, mais, s’il craignait de violer les règles de l’Académie, il ne tenait pas à s’attirer davantage la colère d’une maîtresse d’Arach-Tinilith.

Il la suivit donc en bas du monumental escalier de pierre, par les rues tortueuses de la cité proprement dite.

— On rentre chez nous ? osa-t-il demander un peu plus tard.

— Pas tout de suite.

Drizzt n’insista pas.

Ils parvinrent à l’extrémité ouest de l’immense caverne, un peu plus loin sur le mur où s’appuyait le domaine Do’Urden, et se retrouvèrent devant trois tunnels bas devant chacun desquels une statue luisante de scorpion géant montait la garde. Vierna s’arrêta un instant pour se repérer, puis passa par la plus petite ouverture.

Les minutes finirent par former une heure, et ils marchaient toujours. Le passage s’élargit et ils débouchèrent bientôt dans des catacombes tortueuses parcourues d’un labyrinthe de couloirs. Drizzt perdit vite tout sens de l’orientation, mais Vierna avançait d’un pas décidé, suivant un chemin qu’elle connaissait bien.

Ils arrivèrent enfin devant une entrée basse et voûtée au-delà de laquelle un gouffre s’ouvrait subitement. Ils se tenaient sur une étroite corniche qui donnait sur un immense abysse. Drizzt jeta un regard intrigué à sa sœur, mais se retint de lui poser une question en la voyant profondément concentrée ; elle prononça quelques mots brefs, puis lui donna une tape sur le front.

— Viens, lui ordonna-t-elle, et ils lévitèrent en douceur jusqu’au sol tout en bas.

Une fine brume qui montait d’une source chaude invisible ou peut-être d’une mare de goudron enveloppait la pierre. Drizzt avait un sentiment d’insécurité en ce lieu, de danger maléfique. Une perversité lugubre flottait dans l’air, aussi réelle que la vapeur moite.

— Ne crains rien, signa Vierna en silence, j’ai jeté un sort de camouflage sur nous. Ils ne peuvent pas nous voir.

— Ils ? demanda Drizzt tout aussi silencieusement.

Mais à ce moment même il entendit un bruit de piétinement sur la gauche. Il suivit le regard de Vierna jusqu’à un rocher plus loin, jusqu’à l’être misérable perché au sommet.

Drizzt crut d’abord qu’il s’agissait d’un drow, et c’en était un en effet de la tête à la taille, à l’aspect blême et gonflé. Mais le reste de son corps était celui d’une araignée, avec huit pattes d’arachnide pour le soutenir ! La créature brandissait une arbalète, mais paraissait perplexe, comme si elle n’arrivait pas à discerner quels intrus avaient pénétré dans son antre.

Vierna apprécia l’expression de dégoût qui envahit le visage de Drizzt à la vue du monstre.

— Regarde-le bien, petit frère, poursuivit-elle. Considère le sort de ceux qui ont provoqué la colère de la Reine Araignée.

— Qu’est-ce que c’est ? répondit Drizzt en gestes fébriles.

— Un drider, lui chuchota Vierna à l’oreille. (Puis elle revint au code silencieux des drows et ajouta :) Lolth n’est pas une divinité clémente.

Drizzt, fasciné, observait le drider qui, dans sa recherche des nouveaux venus, changeait de position sur son rocher. On ne pouvait pas savoir s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme, car sa poitrine était distendue. Mais cela n’avait pas d’importance de toute manière, comprit Drizzt : cet être n’avait pas été formé par la nature et ne pouvait se reproduire. Il s’agissait d’un corps torturé, rien de plus, qui se haïssait sans doute plus encore qu’il détestait tout ce qui l’entourait.

— Moi, j’ai de la clémence, signa Vierna.

Mais elle savait que son frère ne l’avait pas vue, obnubilé qu’il était par le spectacle du drider. Elle s’appuya contre la paroi rocheuse.

Drizzt pivota soudain dans sa direction, car il venait de comprendre les intentions de sa sœur.

Elle disparut dans la pierre.

— Adieu, petit frère, lui dit-elle en conclusion. Ce sort est plus doux que ce que tu mérites !

— Non ! gronda Drizzt, et il se mit à griffer le mur dénudé jusqu’à ce qu’une flèche se plante dans sa jambe.

Les lames de ses cimeterres soudain dégainés brillèrent quand il pivota pour faire face au danger. Le drider entreprit de viser pour porter son second coup.

Drizzt voulait plonger de côté et s’abriter derrière un rocher ; mais sa jambe blessée s’engourdit d’un seul coup et se transforma en un poids de chair inutile.

Du poison.

Il parvint à dévier le second carreau grâce à la lame de son cimeterre, puis il se mit à genoux pour examiner sa blessure. Il sentait la froideur du poison se frayer un chemin le long de sa jambe, mais il brisa rapidement le bout qui sortait de sa chair et reporta son attention sur son adversaire ; il aurait plus tard (il lui fallait l’espérer) le loisir de se préoccuper de la plaie. Mais pour l’instant sa première priorité était de sortir de ce gouffre !

Il se détourna pour fuir, pour chercher un refuge d’où il pourrait regagner le sommet en lévitant, mais se trouva subitement face à face avec un deuxième drider !

Une hache siffla tout près de son épaule, le manquant de peu. Il bloqua le coup de retour et porta une estocade de son second cimeterre ; le drider la para à l’aide d’une deuxième hache !

Drizzt se sentait calme désormais, confiant dans sa capacité à vaincre cet ennemi, même avec une jambe insensible – mais c’est alors qu’un carreau le frappa dans le dos !

Il fut projeté en avant par la force de l’impact, mais réussit malgré tout à parer une nouvelle attaque du drider face à lui. Puis il tomba à genoux avant de s’écrouler face contre terre.

Le drider aux haches, croyant Drizzt mort, s’en approcha. Le jeune drow roula alors sur le côté jusqu’à se retrouver pile en dessous de l’abdomen bulbeux de la créature. Il y plongea son cimeterre de toutes ses forces, puis se mit en boule sous l’avalanche de liquide puant qui s’en déversait.

Le drider blessé voulut s’écarter mais tomba sur le côté, ses entrailles traînant sur le sol rocheux. Cependant Drizzt avait perdu tout espoir : ses bras aussi s’engourdissaient à présent et, quand l’autre créature s’approcherait de lui, il ne serait pas en état de la combattre. Il lutta pour rester conscient, en quête d’une issue, décidé à se battre jusqu’à la fin cruelle. Ses paupières s’alourdirent…

Il sentit alors une main qui saisissait ses robes ; on le remit brutalement sur pieds et on le projeta contre la paroi.

Il ouvrit les yeux sur le visage de sa sœur.

— Il est vivant, l’entendit-il dire. Mais il nous faut le ramener rapidement et le soigner. (Une autre silhouette passa devant les yeux de Drizzt.) Je croyais que cela valait mieux, reprit Vierna d’un ton d’excuse.

— Nous ne pouvons nous permettre de le perdre, fut la réponse dépourvue d’émotion.

Drizzt se rappela cette voix, venue de son passé. Il combattit son étourdissement et se contraignit à ouvrir les yeux.

— Malice, murmura-t-il. Mère !

Le coup furieux qu’elle lui porta l’aida à s’éclaircir les idées.

— Matrone Malice ! gronda-t-elle, son visage enragé à un centimètre à peine du sien. N’oublie jamais ! (La froideur de sa mère glaça Drizzt autant que celle du poison ; son soulagement de la voir s’évanouit aussi vite qu’il l’avait envahi.)

« Tu dois rester à ta place ! rugit Malice, répétant encore une fois le précepte qui avait hanté toute la jeune vie de Drizzt. Écoute-moi bien, ordonna-t-elle, et son fils lui obéit de toutes ses forces. Vierna t’a amené ici pour que tu sois tué. Elle a fait preuve de clémence ! (Malice jeta un regard déçu à sa fille.) Mais je comprends mieux qu’elle les desseins de la Reine Araignée, poursuivit-elle, postillonnant sur Drizzt à chacun de ses mots. Si jamais tu devais de nouveau insulter Lolth, notre déesse, je te ferais moi-même revenir ici ; mais pas pour te tuer, cela serait trop facile ! (Elle tourna brutalement la tête de Drizzt sur le côté pour qu’il puisse contempler les restes abominables du drider qu’il avait tué.)

« Si jamais tu reviens ici, ce sera en tant que drider.

Terre Natale
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